Selon une étude, 88 % des gens semblent attachés à leurs biens, y compris aux objets non utilisés qu’ils stockent pour 67 % à la cave, au grenier ou dans le garage. Pourtant, 49 % de la population déclare manquer de rangements. Parmi les objets avec lesquels les français rencontrent le plus de difficultés de stockage, on trouve: pour 35 %, les ustensiles de cuisine, les appareils de cuisine (type appareil à raclette, plancha...) et les chaussures, pour 30 % les vêtements et les produits d’hygiène et de soin1. Cette question du rangement et du stockage s’avère d’autant plus cruciale en Ile-de-France où les logements font en moyenne 16,4 m² de moins que la moyenne française avec une surface moyenne par habitant de 8,2 m² inférieure à celle du reste du pays2.
A la croisée de la surconsommation, de la réduction de la surface moyenne des logements et des enjeux environnementaux, on observe aujourd’hui un véritable phénomène de mode autour du rangement. Les minimalistes nous appellent à désencombrer puis à ranger nos intérieurs pour simplifier nos vies et adopter un mode de vie plus écologique. Faut-il dès lors considérer l’idée d’offrir une capacité de stockage et de rangement dans les logements comme obsolète ? Nous considérons au contraire que proposer des espaces en capacité d’accueillir (ou non) du stockage est fondamentale afin d’optimiser les espaces des pièces et de s’adapter à différents modes de vie.
Les architectes modernes se sont beaucoup intéressés à la question du mobilier, en premier lieu dans une attitude critique vis-à-vis du logement bourgeois. Ses intérieurs saturés de décoration en tous genres étaient vécus comme oppressants et son mobilier fût dénoncé comme ostentatoire, avec un luxe mais surtout un encombrement inadapté aux logements minimums sur lesquels ces architectes travaillaient. Dans une volonté de démeubler, le mouvement moderne a prôné la disparition du mobilier fixe (comme les armoires) et son remplacement par des rangements intégrés à l’architecture. Le mobilier doit être mobile et déplaçable. Il peut même servir de cloison comme le propose l’atelier Le Corbusier au Salon d’Automne de 1929 avec son programme d’équipement de l’habitation constitué uniquement de trois types de meubles : des tables, des chaises et des casiers qui « devaient répondre à tous les besoins de rangement dans l’habitation »3.
Le logement minimum moderne était pensé en parallèle des usages dans l’esprit fonctionnaliste de l’époque. Aujourd’hui, la pression foncière contraint les logements, cependant, on constate un désengagement des architectes sur ces questions d’usages. Le modèle de la famille avec deux enfants, utilisé par les modernes, n’est absolument plus représentatif des modes de vie, ce qui rend cette approche fonctionnaliste quelque peu aventureuse. On lui substitue donc un impensé : le mobilier n’a plus sa place dans les plans d’architectes, mis à part pour suggérer la destination des pièces.
Si le rangement est une grande préoccupation des français, cela est à mettre en perspective avec la capacité offerte à chacun de conserver, entreposer, stocker, notamment en ville où l’espace est contraint par définition. Si le rapport au rangement est une chose très personnelle, et le rapport aux objets une chose très ambiguë, il est indéniable que le logement compact doit présenter un minimum de capacité à mettre en place des dispositifs pour organiser son rapport aux choses matérielles, sans que celles-ci nous envahisses ou interfères avec le bien-être des occupants d’un logement.
L’art d’intégrer des rangements oscille entre astuces du bricoleur et solutions préconçues par l’industrie du meuble, avec le dénominateur commun de représenter une entrave au bien-être dans le logement pour beaucoup de personnes, du fait que les freins soient techniques ou bien économiques. La solution semble ne pouvoir résider que dans l’appropriation très personnelle de ce problème, grâce à l’accompagnement des grandes enseignes de l’ameublement et du bricolage qui déploient tout leurs efforts pour assurer ce service apparemment personnalisé. Cette problématique très volatile et difficile à appréhender pour les architectes est pourtant de premier ordre en matière de logement compact. Elle doit selon nous faire l’objet d’une ré-appropriation par les architectes.
Nous sommes convaincus que cette question est centrale dans le rapport à l’environnement et à la consommation pour les habitants des villes. Avoir la possibilité de stocker, c’est potentiellement ne pas jeter et envisager de faire réparer. C’est pouvoir conserver des objets transmis qui sont des racines, mais ne serviront que plus tard. C’est aussi la possibilité de prêter et de partager. Stocker, c’est potentiellement ne pas détruire et s’en remettre au temps long dans une société qui a tendance à évacuer la qualité et verse facilement dans l’achat de biens dont l’obsolescence est programmée, lesquels atterrissent inévitablement dans les déchetteries ou terminent dans les fumées des incinérateurs. Le stockage personnel est selon nous une pierre angulaire de la transition environnementale.
Comment le logement peut-il répondre à ces enjeux cruciaux, en complément des solutions collectives que sont les ressourceries, les services de stockage déporté, les rénovations apportées par les principes de l’économie de la fonctionnalité et du partage. Syvil investigue des solutions pour remettre le sujet du rangement et du stockage au premier plan des rouages qui composent la conception du logement pour la ville dense.