A partir de la seconde moitié du XIXe et jusqu’à la moitié du XXe siècle, Paris fût une capitale industrielle, une “usine du monde”. Mais depuis plane sur elle la menace de sa désindustrialisation totale. Dès la fin des années soixante-dix, la Ville de Paris a mis en place des politiques de soutien à l’industrie et à l’artisanat. La municipalité a notamment misé sur la construction d’hôtels industriels plutôt que sur la conservation de grandes emprises. Ces politiques retrouvent aujourd’hui, avec l’émergence de préoccupations sur de nouveaux modes de production et de consommation, un nouveau souffle. Il est urgent de redécouvrir ces modèles méconnus que sont les hôtels industriels, et de concevoir les solutions d’une relocalisation de la production en ville qui peinent tant à émerger.
Lorsqu’en 1977, la Ville de Paris acquiert son statut de commune “de plein exercice”, elle se dote d’un Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme dans lequel il est fait état d’ « un déclin de la fonction production si vif qu’il produirait, s’il n’était pas freiné vigoureusement, une quasi-disparition des activités de fabrication dans la capitale »1. L’ambition d’une politique de soutien aux activités industrielles et artisanales est fixée. Les grandes emprises industrielles et artisanales sont cependant considérées comme les seules opportunités de mener de grands projets urbains visant à la création de logements, de grands équipements, de pôles tertiaires et d’espaces verts. Les activités qu’elles accueillent sont quant à elles perçues comme déclinantes ou inadaptées à la ville. On préfère donc, à la sanctuarisation des zones industrielles et artisanales, un modèle alternatif : l’hôtel industriel. Ce modèle s’avère toutefois discriminant pour un nombre important d’activités : toutes celles ne pouvant s’accommoder d’une implantation en étage. Mais l’objectif est de ne conserver que les industries dites “modernes” : chimie de laboratoire non polluante, électronique ou production dite “raffinée”, et de reléguer à la périphérie les industries trop gourmandes en espace ou trop nuisantes.
Aujourd’hui, les hôtels industriels de Paris intra muros sont issus en grande majorité de ce schéma directeur, ayant été construits dans les nombreuses ZAC auxquelles il a donné naissance. Ils accueillent environ un tiers des emplois productifs de Paris2. Cette politique a vu néanmoins disparaître les dernières grandes emprises industrielles et artisanales de la capitale dont les dernières survivantes font aujourd’hui l’objet de nouveaux projets urbains mixtes dans lesquels la production n’aura plus qu’une place réduite.3 Ceci implique le desserrement des dernières activités productives parisiennes ne pouvant s’adapter à localisation en étage.
Comment doit évoluer le modèle de l’hôtel industriel ? Quels sont les enjeux actuels pour la réussite de ce type de programme ? Comment répondre au mieux aux besoins des entreprises ?
Il est aujourd’hui établi que l’atout compétitif de la France n’est pas celui du coût de production mais plutôt celui de la qualité des produits proposés, leur originalité, leur caractère innovant. Cette orientation que prend aujourd’hui l’industrie française implique une part importante de recherche et développement, cette tendance étant encore plus marquée qu’ailleurs en Ile-de-France. De manière générale, l’industrie se tertiarise, c’est à dire que le nombre d’emplois dits tertiaires augmentent par rapport aux emplois directement productifs. Un «emploi industriel induirait deux à trois emplois de services soit en support à la production (maintenance, nettoyage, sécurité, logistique) soit en support de la recherche ou des activités de siège (ingénierie, conseil)»4. Beaucoup d’emplois tertiaires vivent de l’industrie. Les entreprises industrielles proposent toujours davantage de services indissociables de la fabrication : service de location avec option d’achat, service après-vente et réparation, production sur-mesure ou à la demande. La frontière entre secteur secondaire et tertiaire est de plus en plus ténue.
Il y a donc un enjeu fort dans la conception de locaux adaptés à ces emplois plus tertiaires. Les ambitions et les recherches actuelles sur le confort du travailleur dans les bureaux doivent intervenir dans la conception des hôtels industriels. Il s’agit de proposer des lieux de travail attractifs et valorisant pour les ingénieurs et cadres des cellules de R&D, comme pour l’ensemble des travailleurs. Si ces locaux ne peuvent être des locaux d’activités lambda, ils ne peuvent pas non plus être des locaux de bureaux standards. Ils doivent pouvoir accueillir des espaces de prototypage, permettre de fabriquer les premières séries avant de lancer une production à échelle industrielle. Ces locaux peuvent également parfois nécessiter des conditions spécifiques de type salles blanches.
A l’heure d’une recherche de réversibilité bureaux-logements, ne peut-on peut pas entrevoir une recherche complémentaire ? Celle d’une hybridation des immobiliers tertiaires et productifs ? Des espaces capables d’être à la fois bureau et production, ou d’être l’un et pour devenir l’autre. Au regard des enjeux mentionnés plus haut, il nous paraît pertinent d’explorer cette piste de réciprocité et d’explorer l’hybridation de ces typologies qui, bien qu’on les oppose, accueillent toutes deux une fonction similaire : des espaces de travail.
Cet immobilier hybride serait conçu avec la plus grande rationalité. Les plans seraient relativement indéterminés : de grands plateaux libres, régulièrement tramés prêts à être redivisés. Une approche de l’architecture par la structure permettrait cependant de créer des grandes portées ménageant ponctuellement de grands volumes productifs. Un travail approfondi en coupe permettrait à la fois de spécifier les volumes par des variations de hauteurs mais aussi de travailler sur des épaisseurs de bâti importantes tout en garantissant des apports de lumière : patios, gradins, atrium, cour anglaise…
L’hybridation des immobiliers tertiaires et productifs ne pourra fonctionner sans une approche attentive et rigoureuse quant aux modalités de desserte des espaces et notamment des arrivées véhiculées. La conception des circulations, primordiale dans le bon fonctionnement d’un hôtel industriel pourra obéir à un système différent de celui de la structure. Les ascenseurs devront se doubler de monte-charges, les cellules du rez-de-chaussée - a minima - voire celles du sous-sol, d’un ou plusieurs étages devraient dans la limite du possible être desservies par véhicules afin d’augmenter l’éventail des activités potentielles. L‘intégration de ces circulations dans une composition architecturale est fondamentale tant d’un point de vue fonctionnel qu’urbain.
La rencontre de ces deux logiques rationnelles et fonctionnelles pourraient donner à l’architecture son identité. Loin d’une architecture introvertie, l’hôtel industriel doit s’ouvrir largement sur la ville, que ce soit par une façade laissant généreusement entrer la lumière ou en organisant son insertion à la vie urbaine par des parties de programmes publics, par exemple.
Bien que prenant acte du caractère indispensable des activités de recherche et de services à la bonne santé d’une entreprise industrielle, l’hôtel industriel ne peut se résoudre à se tertiariser totalement et à laisser sur la touche un large éventail d’activités pourtant plus que nécessaires. Il existe aujourd’hui un risque de hold up des entreprises au profil plus tertiaire que productif sur les locaux des hôtels industriels de part leurs moyens financiers plus importants. Il est nécessaire d’élargir les potentialités d’occupations et d’accompagner les entreprises les plus fragiles pour construire une véritable alternative au desserrement des activités à l’œuvre. Nous proposons le terme d’hôtel productif plutôt que celui d’hôtel industriel ou d’hôtel d’entreprises pour appuyer sur l’enjeu de la production qui doit rester le caractère premier de ces immobiliers s’ils veulent réellement répondre aux enjeux auxquels ils s’attaquent : proposer des locaux urbains pour les activités productives et non offrir une possibilité en plus aux entreprises tertiaires pouvant se loger facilement ailleurs dans Paris. L’hôtel productif aura aussi vocation à accueillir des activités de services, en complémentarité immédiate des activités productives, comme la logistique.
Certes, pour un grand nombre d’activités, occuper un local en ville et de surcroît en étage est contre-intuitif. Au vue de la faible capacité économique et financière des entreprises, il est contradictoire de vouloir s’installer en zone tendue. Tout comme il peut paraître paradoxal de verticaliser les immobiliers d’activité alors que les process productifs appellent plutôt à l’horizontalité : accessibilité en véhicules, charges au sol importantes, stockage extérieur... Du fait du phénomène Nimby (Not in my backyard) alimenté par la peur des nuisances sonores ou de la pollution, certaines entreprises préfèrent s’installer loin des zones résidentielles pour ne pas déclencher l’hostilité du voisinage. Alors pourquoi s’installer en centre-ville ?
Enfin, il semble impossible de construire pour des entreprises ciblées des locaux qui verront le jour dans deux ans alors que leurs besoins sont immédiats. Comment concevoir des locaux sans savoir qui les occupera et à quels usages ils devront répondre ?
L’hôtel productif doit pouvoir échapper à ces contradictions. Dans ce document, Syvil avance des éléments de méthodologie pour envisager ces espaces productifs contemporains.