La décentrale, vers de petits bâtiments de production

La “dé-centrale”, c’est l’inverse de la centrale. En décentralisant la production, en produisant et en stockant de l’énergie, de l’eau, de la nourriture, à petite échelle, les producteurs rapprochent leur production des usagers, qui identifient le lieu de la production dans le territoire, et deviennent plus résilients et plus autonomes. Identifier et définir des “édifices-décentrales”, c’est inventer des lieux de production d’un nouveau genre, plus démocratiques et plus écologiques.

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Parce que les filières qui composent le Système Ville sont gérées par des opérateurs massifiés, au service d’une population dont on a défini des besoins massifs, les fonctions productives du territoire sont communément regroupées dans des centrales. La centralisation, si elle autorise contrôle, mutualisation et optimisation des opérations de production, est souvent choisie pour les économies d’échelles qu’elle suppose. Or il peut arriver que ces centrales soient inefficaces sous l’effet de plusieurs contraintes1 : éloignement de la production de sa consommation, imprévisibilité de la demande (qu’un flux massif préfère massive et constante), rigidité du dispositif, taille si grande qu’elle suppose d’autres contraintes (intégration au milieu, dépenses non linéaires). La centrale, et le bâtiment centralisé, sont donc l’instrument de la mondialisation des échanges matériels, de la société de consommation continue et massive.

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La centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly est en pleine campagne, alors qu’elle alimente les villes (photo CC – Suaudeau).

Une décentrale est à l’inverse un ensemble de plusieurs ouvrages qui décentralise une activité habituellement centralisée. Elle se distingue d’une centrale uniquement par son dispositif fragmenté, dispersé, ou en réseau. Ses avatars peuvent prendre des programmations très variées : une décentrale d’énergie, du micro-stockage urbain, un composteur municipal, une ferme de panneaux solaires, une éolienne, un réservoir de récupération de l’eau de pluie, des toilettes publiques productrices de gaz…

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Micro-stockage décentralisé, Tokyo (in Pet architecture, atelier Bow Wow).
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Station-pompe d’énergie géothermique, PK Arkitektrar, Reykjavík, Islande, 1990.

Les enjeux de miniaturisation des infrastructures (transport, eau, énergie,…) et de relocalisation des productions proches des consommations (énergie, alimentation, eau…) invitent de plus en plus à penser des services sous forme décentralisée ou distribuée2. Dépasser la croyance répandue selon laquelle l’économie d’échelle est systématique permettrait de passer à une économie d’adéquation, c’est-à-dire à la carte.

La forme décentralisée, en petites unités, apporte plus de flexibilité financière et foncière notamment dans des villes denses où les grandes parcelles de terrains sont rares. Des emprises aussi grandes que des centrales, des entrepôts, des systèmes d’assainissement, des garages de transport de service public, peuvent trouver avantage à se distribuer sur le territoire sous forme de petites unités. Les emprises de grande taille que forment des grands sites obsolètes3 pourraient être reconsidérées, à la fois pour reconquérir du foncier et pour accéder à nouveau à ces parties enclavées de périphérie souvent peu irriguées. Que ce soit les territoires urbanisés, où la place manque, ou les territoires plus isolés, où le réseau manque, la décentrale trouve sa pertinence. Le principe de système de production électrique “en site isolé” pourrait être étendu à d’autres filières notamment l’eau (bâtiment-stock d’eau de pluie), les matières de seconde-main (recyclerie de quartier) ou pour l’autosuffisance alimentaire (ferme AMAP). Ce paradigme peut se décliner sur les territoires européens, mais existe de manière singulière dans l’est de l’Asie, comme l’a suggéré notre recherche Micromachins.

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Décentrale hydroélectrique 11 kW, Oromis, Cambodge, 2008 (recherche Micromachins).
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Stockage d’énergie décentralisé, Bloom energy servers™, 2006.

La décentralisation répond alors à des enjeux de proximité et d’écologie. Des infrastructures municipales ou par quartier en circuit court peuvent incarner physiquement la démocratie locale dans le cas des décentrales d’énergie, d’alimentation, de chauffage urbain… et répondre à la question de l’acceptabilité des grandes infrastructures par les occupants du territoire (phénomène NIMBY). La quête du bon dimensionnement des ouvrages dépasse les logiques de chaque filière, reste à trouver dans la bonne échelle de gouvernance : la personne, la famille, la communauté, l’établissement ou la commune. La décentrale représente ainsi un champ des possibles pertinent à explorer pour intégrer la production dans les territoires.

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De la centrale à la décentrale.
  • HOURCADE, Jean-Charles, in Persée, Signification et impasses d’un concept banalisé : les économies d’échelle, 1985.
  • RIFKIN, Jeremy, La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2012, 414p.
  • La centrale à charbon de Vitry en est un exemple.